jeudi 4 février 2010

de la chine à Joinville

ou la rare découverte d'un sceau.

La fréquentation des brocantes réserve parfois bien des surprises. C'est ainsi qu'en 2007 l'acquisition, dans les Vosges, d'un parchemin au bout duquel pendaient des fragments de sceaux en cire anciens s'est révélé être daté de 1317 et concernait la ville de Joinville. Le vendeur, originaire de Meurthe et Moselle, n'avait pas estimé la valeur du document qu'il céda alors pour une très modique somme à un acquéreur qui avait reconnu le sceau de la ville de Joinville en Haute-Marne.  
Le sceau est, selon la définition donnée par Auguste Coulon,  " l'empreinte sur une matière plastique, généralement la cire, d'images ou de caractères gravés sur un corps dur (métal ou pierre) plus spécialement désigné sous le nom de matrice, et généralement employée comme signe personnel d'autorité et de propriété ".  Au début du XIVe siècle, du haut en bas de l'échelle sociale, tout le monde possède ou peut posséder un sceau. Bien des personnes ou des communautés en ont plusieurs, destinés à des usages différents et dont la valeur juridique n'est pas la même.

Aujourd'hui la ville de Joinville, en Champagne, porte d'azur, à trois broyes d'or l'une sur l'autre en fasces; au chef d'argent, chargé d'un lion issant de gueules. Même si les couleurs sont absentes, nul doute que la représentation figurée dans la cire est bien celle là. Les Broyes sont des figures particulières à la maison de Broyes et à celle de Joinville. Les blasonneurs les ont prises pour des festons d'architecture, pour des morailles, pour des instruments à serrer les jambes des criminels, ou enfin pour des instruments propres à broyer le chanvre. Quoiqu'il en soit, les toutes premières Armoiries de la Maison de Joinville avec ses trois broyes d'or sur champ d'azur sont issues d'Etienne de Vaux, fils présumé de Renaud de Broyes. Mort en 1060, il fait édifier le château féodal de Joinville en 1027. Pendant les croisades, un de ses descendants, Geoffroy V tombera sous les coups de l’ennemi après une rude bataille menée aux côtés de Richard Cœur de Lion, Roi d’Angleterre. Ce dernier autorisera alors Geoffroy V à prendre les armes d’Angleterre. Aux armoiries d’Etienne de Vaux, on ajoutera alors, en « chef », un « lion de gueule (couleur rouge) naissant en champ d’argent ». Ces armes sont devenues dès lors les armes des Vaux-Joinville, et sont encore aujourd’hui les armoiries de la ville de Joinville.

Ce parchemin étant daté de 1317, le seigneur de Joinville était alors Jean de Joinville, sénéchal de Champagne et célèbre historiographe de Saint-Louis.  Jean de Joinville est né aux alentours du 1er mai 1225, de Simon de Joinville, et de sa seconde épouse, Béatrix de Bourgogne. En 1240, Jean de Joinville épouse Alix de Grandpré, à laquelle il était fiancé depuis 1230 et qui lui donna deux fils, Geoffroy de Briquenay (1246-1289) et Jean d'Ancerville (1248-1304), lesquels moururent avant leur père. A la mort d'Alix de Grandpré (1261), Jean se remaria avec Alix de Reynel. De cette union naquirent quatre fils et deux filles : Jean de Reynel, Anseau, qui succèda à son père dans la seigneurie de Joinville, Gautier de Beaupré, André de Bonney, Marguerite, qui épousa Jean de Charny, et Alix, qui fut d'abord mariée à Jean d'Arcis et de Chacenay puis à Jean de Lancastre.  Louis IX ayant fait le voeu de se croiser s'il guérissait d'une grave maladie (1244), le sénéchal de Champagne annonça à Pâques 1248 sa volonté de suivre le roi de France.  Il engagea alors une partie de ses terres afin de pouvoir payer ses chevaliers et louer une nef. Il rejoint le roi à Chypre où l'armée croisée passe l'hiver. Le 30 mai 1249, la flotte prend la direction de l'Egypte avant d'arriver à Damiette. Le 6 juin, le roi est maître de la ville. Après ce succès rapide, Louis IX se dirige sur Le Caire. Le 19 décembre, son armée est défaite devant la forteresse de Mansourah. Au cours de la retraite, Louis IX et Joinville sont capturés par les Turcs puis libérés contre une forte rançon. Saint Louis écoute les conseils du sénéchal de Champagne et décide de rester en Terre Sainte dans l'espoir de libérer les chrétiens captifs. En avril 1253, Jean de Joinville prête hommage lige au roi de France et prend part à l'attaque du château de Baniyas. Pendant ce séjour, il rencontre Bohémond VI, prince d'Antioche et de Tripoli, qui lui offre un fragment du chef de saint Etienne que Joinville remettra en 1309 aux chanoines de Châlons ainsi que la ceinture de saint Joseph, offerte aux chanoines de Saint-Laurent de Joinville.  Jean de Joinville rentrera dans sa ville natale en décembre 1254. L'amitié qui unissait le roi et Joinville depuis le voyage outre-mer se prolongea jusqu'à la mort de saint Louis. Jean de Joinville mourut probablement le 24 décembre 1317 à l'âge de 92 ans. Il fut inhumé dans la chapelle Saint-Joseph de l'église Saint-Laurent du château de Joinville. 
A cette date de 1317, le sceau qui acte le parchemin  n'est plus celui de la famille de Joinville ni celui de Jean de Joinville. En effet, les  Archives nationales conservent celui utilisé vers 1263-1308, ou figure au revers la ville de Joinville, et qui représente le sénéchal de Champagne à cheval et cuirassé (représentation ci dessus: Archives nationales, coll. de sceaux, St 2243). Il s'agit donc bien du sceau utilisé par la ville éponyme.
 Sur un parchemin, l’emploi d’un ou de plusieurs sceaux est presque toujours signalé dans la formule dite de corroboration figurant à la fin de l’acte et qui énumère les sigillants.  La répartition des différents sceaux au bas de l’acte s’organise alors selon l'ordre hiérarchique annoncé. Sur ce document daté de 1317, les autres sceaux étant sous forme de fragments, il est impossible de les identifier, tout comme le contre sceau de celui de la ville de Joinville, mais ils représentent probablement la marque des parties en présence, à savoir celle du vendeur du tiers d'un pré situé au lieudit Saunoise et du chapelain de Saint Laurent qui s'en porta acquéreur.
Didier Desnouvaux