dimanche 4 octobre 2009

La gare de Prez sous Lafauche

ou quand chaque village voulait sa gare....


En 1857 les municipalités de Neufchateau et Chaumont entreprennent des démarches pour obtenir le chemin de fer dans leurs localités. La Ligne Bologne Neufchâteau est déclarée d’utilité publique le 14 juin 1861. Le 8 octobre de la même année, le conseil municipal de Prez sous Lafauche vote une somme de 20.000,00  francs pour créer une route reliant la commune au « Bassigny » pour faciliter « l’accès de la station du chemin de fer, si elle était établie près de ce village de préférence aux environs de Saint Blin ou de Vesaignes » par emprunt du chemin d’intérêt communal n°48 jusqu’à la ferme de Dosme et de là à Illoud. Le service de voirie départemental n’y voit aucun avantage, il considère que le but de la commune de Prez est d’avoir la ligne sur son territoire .
Un mois après, le 10 novembre, le conseil municipal de Lafauche vote la somme de 800 Francs pour que la gare soit à Prez sous Lafauche, et celui d’Aillianville émet le voeu que la gare soit établie à Prez. Dans les mêmes moments, les communes de Lézéville, Laneuville aux bois, Bréchainville, Chambroncourt, Morionvilliers, Leurville, Germay, Landeville et Pautaines font la même demande.
Dans l’étude pour l’établissement de la ligne Chaumont à Toul il a été recherché à déterminer le lieu idéal pour implanter la gare entre Rimaucourt et Liffol le Grand. Prez sous Lafauche était à équidistance. Cependant lors de la commission d’enquête il a été proposé d’établir la gare entre Vesaignes sous Lafauche et Semilly dans l’intérêt du Bassigny. Topographiquement il y a 1.200 mètres d’écart pour lier le Bassigny à Prez sous Lafauche ou à Semilly.
Le 28 janvier 1862, le tracé de la voie de chemin de fer est approuvé.
Le 4 mai 1862 le conseil de Prez demande à nouveau une gare aux motifs « que la question de plus ou moins de distance est une question secondaire ; que la principale (et celle là est capitale pour le pays) consiste sur le fait incontestable à savoir que le chemin de fer anéantira la route impériale de Neufchâteau à Bony sur Loire ; que la route perdue et faute de station, Prez redeviendra ce qu’il était avant la création de la route, un pays sans commerce et sans industrie, et qu’on peut prédire, sans être accusé de pessimisme, la décroissance de sa population et la diminution dans la valeur de ses propriétés pour un avenir peu éloigné… » le conseil municipal vote alors 28.000,00  Francs pour qu’y soit établi une gare en plus des 2.000,00  Francs déjà votés en 1861 (les 20.000,00 F étaient alors pour la route).
A cette époque là, le trafic de la route impériale construite en 1828 à Prez sous Lafauche est le suivant «La poste aux chevaux n’a plus qu’une existence nominale », « 4 ou 5 voitures de roulage accéléré font le service régulier » entre Neufchateau et Chaumont, ou Bologne. Trois voitures publiques passent matin et soir. La tuilerie de Prez sous Lafauche fabrique de 400.000 à 500.000 tuiles par an. A Liffol le Petit deux usines métallurgiques qui battent la fonte sont en activité. Trampot est réputé pour ses carrières de pierre dure qui exportent leurs produits sur de longues distances, et Grand produit 200.000 kilos de clous exportés pour les trois quart sur le midi en passant forcément par Prez sous Lafauche. Il y a également un fort transit de bois.
Le rapport de la commission d’enquête fait ressortir que Saint Blin a obtenu sa gare, et que les habitants de Prez sous Lafauche ont leur bassin de vie à Neufchateau ; ce qui les oblige à aller soit à Liffol le Grand, commune distante de 8 kms, soit à Saint Blin, 5 kilomètres, pour y prendre le train, et qu’il n’est pas logique d’aller à Saint Blin prendre le train à destination de Neufchateau parce que c’est en sens opposé.
Le 18 mai 1862 le conseil d’Aillianville vote alors une somme de 2.000,00  Francs pour l’implantation de la gare, plus 2.000,00  F qui sont destinés à l’amélioration du chemin entre Aillianville et la gare.
Un an après, le 15 février 1863 la commission d’enquête émet un avis favorable à ce qu’une gare soit implantée sur le territoire de Prez sous Lafauche, mais le conseil municipal veut que ce soit au lieudit les fourches, et non pas à proximité de Liffol le Petit qui offre 15.000,00  Francs pour avoir une gare. Si cependant ladite gare devait être éloignée de 1.700 mètres la commune de Prez ne mettrait plus que 15.000,00  Francs sur la table.
Le 19 août 1863 le conseil municipal d’Aillianville vote alors une somme de 4.000,00 Francs pour l’établissement d’une gare « à peu près à égale distance de Prez et Liffol le Petit ». Il n’est plus question du chemin. Les communes, par leurs votes, ont ainsi pris des engagements pour un financement de 52.000,00 Francs ; Aillianville 4.000,00 F, Prez sous Lafauche 30.000,00 F, Liffol le Petit 15.000,00 F, et Lafauche 3.000,00  Francs.
L’administration trancha et décida de l’implantation de la gare au lieu où elle a servi à des milliers de voyageurs. L’emplacement y était logique ; la gare « serait placée entre Prez sous Lafauche et Liffol le Petit, à 1 kilomètre environ de la première commune et au nord de la voie… la route impériale passe à une centaine de mêtres… et une source intarissable qui jaillit a proximité permet d’y avoir de l’eau en tout temps ». 257 propriétés appartenant à 99 personnes différentes sont concernées par le passage de la ligne sur le territoire de Prez sous Lafauche. Le plan parcellaire est établi le 4 avril 1864, les indemnisations suivront, et les travaux commenceront rapidement puisque le décret d’utilité publique est publié la même année. La mise en service aura lieu le 14 août 1867.
Mais les communes se feront, quant à elles, tirer l’oreille pour payer. Le 25 mars 1867, la Compagnie des Chemins de Fer de l’Est réclame toujours les 30.000,00  Francs promis par Prez sous Lafauche qui ne veut payer que moitié. Le 8 mai 1868, Liffol le Petit se dit prêt à solder la subvention de 15.000,00  Francs. Lafauche demande « un sursis de 5 à 6 ans jusqu’au moment de la coupe des bois communaux », ce que lui accorde la Compagnie des Chemins de Fer. La commune d’Aillianville n’a pas répondu à la demande de paiement du 8 mars 1867.
Le 24 mars 1869, le conseil municipal de Prez sous Lafauche autorise le maire à défendre les intérêts de la commune contre la Compagnie des Chemins de Fer à cause du non paiement des 30.000,00  Francs promis. Le directeur de la Compagnie des Chemins de Fer de l’Est accepte de transiger à 20.000,00  Francs parce que la gare est éloignée du centre du village.
Comment cela s’est il terminé ? Les communes ont-elles toutes payé ? Les archives sont muettes à ce sujet, mais on peut présumer qu’elles ont été obligées d’honorer leurs engagements.
Au début du XXème siècle de nouveaux projets émergent.
14 mai 1905 le conseil municipal  d'Aillianville dit qu’il n’a aucun avantage à la construction d’une ligne de chemin de fer à voie étroite et n’est pas disposé à verser de subvention. Peut être se souvenait-il de ce qui s’était passé précédemment ?
L’année d’après, un rapport daté du 16 octobre 1906 est publié. Il projette la création d'un chemin de fer d'intérêt local permettant de relier les lignes déjà existantes. On y relève le projet d'une ligne reliant Bourdons (Pont Minard) à Poissons (Gare) par Consigny, Clinchamp, Chalvraines, Prez sous Lafauche (Gare), Lafauche, Aillianville, Leurville, Augeville et Annonville. Seulement le tracé présente de sérieuses difficultés aux deux grandes montées de Bourdons à Consigny et de Lafauche à Aillianville. Une variante fut également proposée reliant Bourdons à Soulaincourt. Elle modifiait le trajet à partir d'Aillianville en rejoignant Chambroncourt, Germisay et Germay.
Le 7 novembre 1906 le conseil municipal demande alors l’établissement d’une voie de chemin de fer à voie étroite venant de Bourdons et qui serait utile pour le commerce des bois. Les difficultés précédemment rencontrées, à savoir les fortes pentes, n’ayant pas trouvé de solution, les deux projets furent abandonnés.
Le trafic voyageur de la ligne Bologne Neufchâteau a cessé le 31 mai 1970, et la voie, désormais unique, a véhiculé un trafic restreint de marchandises pour l’usine Tréfilac de Manois jusqu’à la fin 2008, avec un terminus à Rimaucourt pour les transports des grains ; le réseau étant désaffecté est réservé à une activité touristique sur l’autre portion.


Didier Desnouvaux


Sources : Archives Départementales de Haute-Marne cotes 84-S-3 ; 84-S-4 ; Daguin 375.