lundi 22 juin 2009

Les aventuriers

A L'AUTRE BOUT DU MONDE

Sous l'Ancien Régime, rares étaient ceux que nous appellerons plus tard les haut marnais à quitter leur région d'origine pour des destinations lointaines. Au nombre des raisons essentielles, on peut avancer la poursuite d'études en université, le compagnonnage, l'exercice de métiers itinérants, ou le commerce avec les colonies. A partir du XVIIIème siècle "le voyage tend à devenir un privilège social" qui attire d'autres catégories de personnes que les riches explorateurs et les jésuites évangélisateurs; mais encore bien peu nombreux étaient ceux qui se hasardaient, hors d'Europe, pour des destinations lointaines. Quelques haut marnais, parfois peu favorisés par la fortune, se sont engagés sur la voie de l'aventure, ou se sont enrichis de manière brutale. Certains nous ont livré le détail de leurs pérégrinations, alors que d'autres l'ont payé de leurs vies. Tous sont aujourd'hui oubliés à tel point que de nombreuses incertitudes subsistent parce que les biographes et les généalogistes locaux les ont ignorés pendant plus de 200 ans.

A LA DECOUVERTE DE NOUVEAUX HORIZONS

-Pierre, avons nous fini d'embarquer toutes nos marchandises ?

-Oui, le cresson, l’oseille, les navets, carottes, choux et cornichons sont à bord et conservés dans du vinaigre....

Tel est probablement le dialogue qu’ont eu Claude Roblet et Pierre Regnier avant leur embarquement à bord du "Solide" le 14 décembre 1790 à Marseille. Ces deux membres de l’équipage allaient devoir veiller sur les cinquante hommes, qui prenaient place à bord de ce navire de 300 tonneaux, chevillé et doublé en cuivre, armé de quatre canons, de deux obusiers de neuf et de quatre pierriers. Contrairement à ce que l’on pourrait croire ils ne sont pas à la cambuse, mais occupent les fonctions de chirurgien major et de son second, à bord du bateau commandé par le capitaine Etienne Marchand. Cette expédition allait durer vingt mois et il ne fallait rien oublier qui put en compromettre la réussite. "Marchand rédigea de sa main un récit de son périple, enrichi de cartes, de vue de côtes, de dessins ethnographiques et même de notations musicales, qui montrent l'étendue des curiosités de ce marin. Ce texte copieux a été publié en 1798 par les soins de Fleurieu. Plusieurs compagnons du capitaine ont aussi tenu des journaux qui nous sont parvenus; parmi eux le second lieutenant Louis Infernet qui, après avoir servi comme officier auxiliaire pendant la guerre d'Amérique, était repassé au commerce avant d'être intégré dans le corps des officiers de vaisseau et de se distinguer brillamment à Trafalgar. Son texte qui n'a fait l'objet que d'une publication très partielle, a malheureusement disparu. S'inspirant sans doute des travaux menés par les chirurgiens des expéditions officielles, celui du Solide, Claude Roblet, a tenu lui aussi un journal historique, un "journal des maladies et blessures traitées et pansées à bord", des réflexions sur le tétanos, des "idées sur les maladies scorbutiques et quelques notes d'histoire naturelles". Jules Verne consacrera aussi quelques pages au récit de ce voyage dans son ouvrage: "Les grands navigateurs du XVIIIème siècle". Si cette expédition, au départ purement commerciale, à été un échec, ce qui retient notre attention c’est le caractère exceptionnel de cet équipage médical puisqu’ils sont tous les deux originaires de la région langroise. Claude Roblet nous fait ainsi découvrir la manière empirique dont on soignait les maladies en cette fin du XVIIIème siècle; ceci expliquant en partie les hécatombes qu’il pouvait y avoir sur chaque navire.

Le tour du monde en vingt mois

"Les soins que nous avions pris conjointement avec Mr Besson apothicaire à Marseille, partie pour nous instruire en travaillant ensemble, partie pour lui aider à nous fournir tout ce qui nous concernait de la meilleure qualité, furent couronnés du plus parfait succès, déjà tout était disposé pour le plus prompt départ lorsque des débats politiques entre l'Espagne et l'Angleterre dans lesquels intervint la France furent à la veille de faire abandonner le projet et avaient déjà fait suspendre les opérations qu'on ne repris que trois mois après lorsque toutes les puissances furent d'accord: en conséquence nous appareillâmes le 14 décembre..." L’édit de 1681 impose la présence d’un chirurgien à bord pour 20 hommes, lequel doit être muni d’un coffre de chirurgie dont le contenu est aussi fixé par décret et tenir un journal des maladies et blessures traitées visé mensuellement par un officier, ici Masse.

Au départ de Marseille, le navire comptait en plus de ses 50 passagers, 500 poules, 7 cochons, et 30 moutons vivants, bien entendu. Inutile de décrire la puanteur et le caractère malsain de cet air. Pour le purifier Claude Roblet le "parfumait" cinq à six fois par mois en faisant brûler de l'encens, du benjoin, des baies de genièvre et même du souffre; ou bien jetait un fer rouge dans un vase de vinaigre, ce qui dégageait des vapeurs de vinaigre. Cela faisait partie des mesures d'hygiène à bord. Celle ci y était très précaire, et pour éviter les maladies, il empêchait l'équipage de se coucher avec des vêtements mouillés.

Manœuvrer un navire ne se fait pas sans son lot de heurts et de petits bobos. Les contusions et plaies qui étaient fréquentes pouvaient avoir des complications redoutables comme l'infection et le tétanos.

Les remèdes, eux, étaient relativement simples: Sur les contusions était appliquée une "fomentation résolutive" puis un bandage. On pansait les plaies après y avoir appliqué un "cataplasme d'onguent suppuratif". Concernant le tétanos, Claude Roblet avait fait plusieurs observations, mais n’avait pas de véritable remède à y apporter.

La plus grosse crainte était le scorbut, maladie des navigateurs pas excellence, et cause de nombreux décès. il est dû à un manque de vitamine C qui n'est pas stockable dans l'organisme. Des doses quotidiennes doivent être apportées par l'alimentation et ce sont surtout les fruits et les légumes frais qui sont riches en acide ascorbique. Roblet relate qu’il emporte des graines et " des caisses faites avec beaucoup de soins et garnies en plomb avec de la flanelle pour nous procurer de la salade de cresson que nous avons mangé sous toutes les latitudes ". Les aliments confits, embarqués au départ par Roblet, sont distribués tout au long du voyage, en complément des rations alimentaires, accompagnés d’une boisson faite à base d'eau, de sucre, et de moût de bière. A chaque escale des fruits et légumes, ainsi que de la viande fraîche renouvellent l'alimentation de l'équipage et leur fournit l’apport nécessaire en vitamine. Il n'y eu que quatre cas de scorbut dont un seul cas grave: celui de Jacques Tessier, boulanger.

Le périple dura 20 mois (608 jours exactement) dont 16 mois et 8 jours de navigation. Il compte parmi les voyages autour du monde les plus rapides du XVIIIème siècle. Le Solide n’était certes pas ce que les marins nomment un "fin voilier". Construit pour résister aux fatigues d’un long voyage et lutter contre les gros temps, il était solide, de fait comme de nom. Ce n’est donc pas à sa vitesse de marche qu’il faut attribuer la brièveté de son voyage mais, surtout, au fait qu’il a toujours pris des routes directes pour se rendre d’un point à un autre. Il consacra le triomphe de la navigation scientifique puisque le navire ne possédait ni montre, ni horloge marine.

C’est la raison pour laquelle les escales sont fréquentes et réparties régulièrement.

1er avril 1791: Le navire reconnaît la Terre des Etats ; double la Terre de Feu et franchit le Cap Horn le 13 avril.

24 mai 1791: On constate que l’eau est corrompue et Marchand décide de s’approvisionner aux Marquises. Il écrit: "Depuis la Prayat notre navigation fut longue et pénible. Toute notre eau est gâtée et très désagréable à boire, malgré les acides et la ventilation dont nous faisions constamment usage pour la purifier. Je craignais et c'était l'avis de mon chirurgien qu'elle ne causa parmi l'équipage quelque maladie funeste." L'eau était conservée dans des futaies et au bout de 15 jours se putréfiait. Comme remède on battait l'eau, on la transvasait, et on y ajoutait des acides.

Mais l'équipage du Solide ne s’est pas ravitaillé qu’en eau. Il a eu de nombreuses relations sexuelles avec les autochtones, et ré-embarque avec une recrudescence de maladies vénériennes (6 cas).

Le traitement de la syphilis consistait en une tisane émolliente et nitrée avec des pilules de térébenthine cuite accompagnée selon la gravité des cas par des lavements, et saignées.

12 juin 1791: Après une navigation étonnante de précision, l’expédition reconnaît l’île Magdalena (Fatu Hiva) et mouille le 14 juin à Santa Christina (Tahuara).

21 juin 1791: L’équipage découvre une terre ne figurant pas sur les cartes. Elle est nommée "Ile Marchand" (aujourd’hui Ua Pu). Marchand décide d'y mettre pied à terre vers midi et d'en prendre possession au nom de Louis XVI. "Les habitans, semblables aux premiers hommes de l'Age d'Or, jouissent tranquillement des dons abondans de la nature et parviennent à une grande vieillesse. Ne sachant ni qui nous étions ni quels étaient nos desseins, ils vinrent cependant au devant de nous sans crainte et sans armes avec la plus grande confiance, preuve presque certaine qu'ils n'avaient presque jamais entendu parler des Européens, ni de leurs armes redoutables.

De respectables vieillards conduisans par la main de jeunes filles timides venaient nous les présenter comme le signe le plus assuré et le gage le plus sacré de l'hospitalité qu'ils nous accordaient. Ces jeunes victimes d'un devoir si saint obéissaient en tremblant et les yeux baissés aux ordres de leurs parens. Qu'on se garde bien de croire que l'intérêt les conduisit, ils n'avaient aucune connaissance ni de nos jolis colifichets, ni de notre fer qui fait tourner toutes les têtes aux habitans des isles connus. Ils acceptaient nos dons sans empressement et sans dédain. Comment peindrai-je le contraste frappant qu'offrait à mes regards un peuple si doux, si paisible dont aucun n'avait la moindre apparence d'arme et qui me témoignait sa surprise que par son silence, avec l'acceuil bruyant, l'ardeur pour le vol que nous avons éprouvé de la part des habitans des Marquises. Egallement grands, égallement forts, leur beauté n'est pas la même, nuds comme tous les peuples de ces climats, l'élégance des formes et la perfection des contours de leurs membres ne nous ont pas échappé et si quelque chose manque à leur phisionomie c'est cet air que donne le courage ou l'habitude des guerres et des passions violentes."

23 juin 1791 Marchand reconnaît une île inconnue à laquelle est donnée le nom des armateurs (Ile Baux, aujourd’hui Nuku Hiva), puis deux îlots nommés "Les deux frères" (Motu Iti et Ile Plate).

24 juin 1791 Découverte de deux îles nommées Ile Masse (Eiao) et Chanal (Hatutu). Marchand donne à ce groupe le nom d’"Iles de la Révolution". En fait, il ignorait qu'il y avait été devancé quelques semaines auparavant par un navigateur américain, Joseph Ingraham qui avait découvert, sans s'y arrêter, ce groupe d'îles. Marchand et son équipage sont néanmoins les premiers à avoir mis pied à terre sur l'île Ua Pu. L’expédition reprend sa route vers l’Amérique du Nord.

11 août 1791: Elle mouille dans la baie de Sitka (baie Tchinkitane, en Alaska) où des fourrures sont achetées.

23 août 1791: Arrêt sous voiles près des Iles de la Reine Charlotte (Vancouver). Une chaloupe conduite par Chanal visite la côte et achète des fourrures.

8 septembre 1791: Marchand fait voile en direction de la Chine.

28 novembre 1791: Il atteint Macao et apprend la signature d’un traité de commerce entre la Chine et La Russie interdisant l’importation des fourrures en Chine. Au cas où il lui arriverait malheur sur le chemin du retour, il confie à trois navires de la Compagnie des Indes une carte des Iles de la Révolution, avec pour mission de les transmettre au gouvernement. L’Assemblée Nationale en prendra connaissance le 17 avril 1792, soit bien après son retour, et lui exprimera sa satisfaction.

6 décembre 1791: l'expédition Marchand quitte Macao et passe entre Sumatra et Bornéo.

Il n'y eu qu'une seule perte sur le Solide: celle de Barry le maître d'hôtel, le 4 janvier 1792 " d'apoplexie sanguine ayant entraîné son décès par mort subite " d’après le diagnostic du chirurgien.

30 janvier 1792: Le navire mouille à l’Ile de France (Port Louis, aujourd’hui : île Maurice) où il subit une remise en état en raison de diverses avaries.

5 avril 1792 : Roblet débarque pour la première fois à l’Ile de France.

18 avril 1792: Marchand appareille et fait escale le 20 avril à Saint Denis de la Réunion.

04 juin 1792: Escale d’une journée à Sainte-Hélène

30 août 1792: Retour du Solide à Marseille via Toulon qu’il atteint le 14 août et quitte le 29.

En 1797, Fleurieu, qui avait été ministre de la marine de Louis XVI, affirme que la France compte peu de marins qui sachent appliquer à la mer l’observation des distances de la lune au soleil et aux étoiles. Les officiers du "Solide" pouvaient se compter parmi eux. Sur le plan humain, le voyage du Solide peut également être cité en exemple: l’expédition n’eut à déplorer la perte que d’un seul homme sur cinquante au total.

Mais qui étaient ces chirurgiens ?

Claude ROBLET est né à Langres, en 1759. Il était le fils de François ROBELET et de Marguerite ESPRIT. Rien ne semblait le prédestiner à la navigation, si ce n'est son goût pour l’aventure. C'est pour cela qu'il devient chirurgien. "Entraîné depuis ma plus tendre jeunesse par un goût effréné pour les voyages, je tournai de bonne heure toutes mes pensées vers ce goût dominant. Ce fut pour satisfaire cette curiosité que je m'adonnai à la chirurgie ayant lu et entendu dire que cet état est favorable aux personnes qui se destinent à parcourir l'univers." Il commence sa formation en 1776 dans les hôpitaux de la Charité et de Saint-Laurent à Langres. Puis de fin 1776 à 1779 il travaille dans ceux de Besançon avant de partir pour Brest en 1779 muni d'une lettre de recommandation pour Monsieur de Thouras premier médecin de l'hôpital militaire. Il s'y fait engager comme élève.

Le 4 mars 1781, il devient "aide chirurgien" à 40 livres, sur "l'Annibal", à destination des Indes pour combattre les anglais; la France étant entrée en guerre avec l'Angleterre. "Des blessures en tous genres furent les fruits qui nous ont accompagnés au Cap de Bonne Espérance, nous fournirent assez d'occupation. Ce périple dura plus de deux mois et sans ce terrible soleil équatorial, au large des côtes d'Afrique, malgré l'attention et le dévouement des chirurgiens, un certain nombre de blessés et malades décèdent."

Le 25 octobre 1781, Claude Roblet arrive à l'île de France (île Maurice). Il y est affecté dans les hôpitaux.

Le 7 décembre 1781 Roblet embarque comme chirurgien major à 100 livres, à bord de "La Pourvoyeuse", frégate de 40 cannons, dirigée par Morard de Galles. "La Pourvoyeuse" fait partie d'une flotte de 20 navires commandée par Suffren qui va se battre au large des côtes sud ouest de l'Inde, avec la flotte anglaise de l'amiral Hughes. Plusieurs combats opposerons les deux flottes: le combat de Sadras en février 1782, celui du Provédien en avril 1782, puis la bataille de Négapatam en juillet 1782, et de Gondelour en juin 1783 qui feront de nombreux morts (650) et blessés (2000).

En décembre 1782, Roblet reçoit l'ordre d'accompagner tous les malades à Trinquemalais, sur le navire hôpital "Le Vengeur". Il y restera jusqu'en février 1783 puis finira la campagne des Indes à bord du "Petit Annibal". En septembre 1783 la paix est signée.

Claude Roblet reste en Inde. Il devient premier médecin à la cour d'Aly Soubab du Deccan. "Après avoir parcouru successivement les Côtes de Ceylan, Coromandel Orissa, Sumatra, faisant quelques fois de petites incursions dans les terres, rassemblant ce qui me paraissait devoir mériter mon attention, je vins après la paix me fixer en qualité de premier médecin à la cour de Nizaim Aly Soubab du Decan, où j'éprouvai tout ce que la fortune a de plus flatteur et de plus rigoureux, je me vis précipité dans un instant du fait des richesses et des grandeurs dans la plus extrême pauvreté, rassasié de disgrâces je vins chez les Hollandais où je crus une seconde fois trouver le bonheur mais il n'était pas pour moi; je les quittai après avoir perdu une année de travail et de peines. Rendu de nouveau à la navigation, je visitais successivement la Côte Malabarre, le Bengale, la Côte d'Afrique, Madagascar, Bourbon etc....

Les différentes épreuves auxquelles m'avais habitué la fortune avaient aigri mon caractère, devenu insouciant pour l'avenir je ne travaillais plus qu'au jour le jour et seulement pour n'être à la charge à aucun de mes amis dont j'ai toujours conservé un grand nombre, j'étais dans cet état d'apathie lorsque je fus tout à coup réveillé par le désir de voir ma patrie et ma famille dont je m'étais éloigné depuis dix à douze ans, Lebel un capitaine avec lequel j'avais fait plusieurs voyages précédent, en revenant de Bengale relâcha à l'Ile de France où je venais d'arriver, il me proposa d'embarquer avec lui en place de son chirurgien dont il était mécontent...."

"Le désarmement s'étant fait à Livourne, je traversai en janvier et février 1789 une partie de l'Italie et de la France méridionale, dans ce voyage, étant de relâche à Cadix je renouvelai connaissance et amitié avec Etienne Marchand que j'avais connu au Bengale, il nourrissait alors un projet dont il me fit part et pour lequel il exigea ma parole de l'accompagner, je la lui donnai avec le plus grand plaisir et à peine arrivé dans le sein de ma famille, j'eus avis de me tenir prêt pour de nouveaux voyages; les lenteurs inséparables d'un projet de la nature de celui-ci et la construction des vaisseaux, ne permettaient pas l'espoir de partir avant la fin d'août 1790 mais les préparatifs de ce qui me concernait exigeaient ma présence et je partis donc pour Marseille le 22 may accompagné d'un jeune homme de mon pays auquel j'avais reconnu des dispositions heureuses et accordé la place de mon second qu'on avait laissé à ma disposition..."

Le 14 décembre 1790 le "Solide" quitte Marseille pour une des plus rapide circumnavigation du XVIIIème siècle.

A son retour Claude Roblet envoie à Fleurieu un lexique des principaux termes employés par les populations des Marquises ainsi que divers objets utilisés dans les îles, mais le chirurgien ne se reconnaît plus dans une France bouleversée par la Révolution. Il se fixe alors à l'île de France (île Maurice) où il est nommé chirurgien major des cantons de Pamplemousses, Poivrières du Rempart et de Flack, et tombe sous le charme de Maurice. Le 20 janvier 1794, il épouse à Port Napoléon (Ile Maurice), Anne-Marie NOËL, née en 1767 à l'Ile Bourbon. De cette union naîtront, aux Pamplemousses cinq enfants, et le couple en élèvera en plus deux autres adoptés.

Claude Roblet participera activement à la lutte pour l'abolition de l'esclavagisme dans les Iles, qui n'aboutira finalement qu'en 1835. Il décède le 4 mars 1809 à Port Napoléon.

Concernant le second chirurgien, Pierre Regnier , il naît à Orbigny au Mont (52) le 19 janvier 1766. Il était fils de François Regnier et Jeanne Tresse. Si sa formation et sa jeunesse sont mal connues, on sait qu’après ce tour du monde, qui était sa première expédition maritime, il rembarquera quelque temps après son retour puis quittera la marine marchande pour suivre une carrière militaire, toujours en tant que chirurgien.

C’est ainsi qu’il fait partie de l'expédition d'Egypte comme membre d'équipage du vaisseau amiral "l'Orient", alors que son compatriote Jean Baptiste Simonnel, natif également d'Orbigny au Mont, embarquera comme ingénieur géographe sur le "Généreux" avec Jacotin et Testevide. Une fois les scientifiques débarqués aux abords d'Alexandrie, les navires de l'expédition allèrent mouiller dans la baie d'Aboukir. Trois semaines plus tard, une flotte britannique de 14 navires qui cherchait son homologue française la trouva à l'ancre sur des bas fonds. L'amiral de Brueys estimait que la flotte anglaise ne se risquerait pas de nuit dans ces eaux peu profondes et non reconnues. Ayant étudié la tactique anglaise qui consistait à traverser la ligne adverse, il avait disposé sa flotte parallèlement au rivage, en enchaînant ses navires. Il espérait ainsi repousser la bataille jusqu'au lendemain, et récupérer les nombreux membres de ses équipages descendus à terre pour ravitailler. Mais Nelson s'étant aperçu que la ligne française était trop éloignée des haut fonds, partagea sa flotte en deux divisions, une attaquant les français du côté du large, l'autre se glissant entre le rivage et la ligne de Brueys, pour la prendre entre deux feux. Les bâtiments britanniques jetèrent l'ancre autour des français croisant leurs tirs sur chaque vaisseau français. La bataille est effroyable et, malgré l’équilibre des forces et un matériel souvent supérieur, la chance ne sourit pas à tous les Anglais. Gêné par la fumée et l'obscurité, le HMS Bellerophon manque son mouillage et s'immobilise par le travers de L'Orient, qui le surclasse de 46 canons et le foudroie à bout portant. S'étant trop avancé, le Majestic s'engage dans les haubans de l'Heureux auquel il reste accroché dans une position désavantageuse. Son capitaine a été tué. Mais le vaisseau français ne saisit pas l'opportunité de l'amariner, les officiers n'étant pas parvenus à faire monter l'équipage sur le pont. Le Majestic parvient à se dégager. Vers 20 heures, Nelson est gravement blessé au visage au point de croire sa dernière heure venue. Le HMS Bellerophon transformé en ponton par L'Orient quitte la ligne et dérive vers le fond de la baie. A cette heure rien n'est joué et la bataille aurait pu se solder par la destruction des deux escadres, mais l’engagement tourne rapidement au désastre pour les Français. L'Orient prit feu vers 21H, "…des flammes surgirent à nouveau en poupe. On les étouffa un instant, mais elles reparurent au milieu du navire, gagnant les gréements et courant le long des coursives. Les flammes commencèrent à lécher le magasin aux poudres". A ce moment l'amiral de Brueys presque coupé en deux par un boulet meurt sur son banc de commandement, qu'il a refusé de quitter. L'Orient complètement embrasé explose à 22 heures entraînant dans la mort presque tout son équipage et ne laissant qu'une centaine de survivants qui s’enfuient à la nage. C’est ainsi que Pierre Regnier est décédé le 15 thermidor an VI dans l'explosion du vaisseau amiral. Seuls quatre bateaux parvinrent à s’échapper. La bataille sera décisive pour la suite de l’expédition. Privée de sa flotte, l’armée d’Orient restera prisonnière de l’Egypte, et le retour des scientifiques se fera au bon vouloir des anglais, et en leur laissant les collections d'antiquités qu'ils avaient prévu d'emporter en France..

Sans appartenir à l'élite des officiers de marine de l'ancien régime, ces deux marins haut marnais faisaient partie des hommes les plus cultivés de leur temps pour avoir rencontré les Indiens, les bons sauvages de Rousseau ou autres Robinson, lors de leurs voyages dans les mers d'Europe, d'Afrique, d'Asie et d'Amérique. Si leur profession ne les a pas fait passer à la postérité, ils ont modestement et involontairement contribué à la découverte de nouvelles terres, et à la remise en cause des conceptions géographiques de leur temps.

QUAND LE VOYAGEUR SE FAIT PELERIN

Le XVIIIème siècle est l'époque des grands voyages scientifiques qui mobilisent le concours du pouvoir royal, des spécialistes internationaux et de l'Académie. Charles de la Condamine est de ceux là. Il part de Paris le 10 mai 1731, destination le Levant. Un voyage désormais classique qui ne retiendrait pas notre attention si un de ses domestiques Jean Baptiste Tollot n'en avait pas fait le récit. Aujourd'hui encore les biographes s'interrogent sur l'origine et la nationalité de cet accompagnateur peu ordinaire.

La Condamine arrive à Toulon le 2 juin 1731, accompagné de son escorte et embarque le lendemain sur l'escadre de Duguay-Trouin, à destination de Saint Jean d'Acre, qu'ils atteindront le 15 août. Le registre de bord mentionne comme coéquipier "Nicolas Tollot de Liffolpetit domestique dudit sieur" la Condamine. Effectivement, le registre paroissial de Liffol le Petit révèle la naissance de Nicolas, fils de Georges Tollot et de Marie Danneville le 17 août 1704. Ces derniers s'y sont mariés le 14 octobre 1696 et ont eu au moins quatre filles avant Nicolas. Comment a-t-il vaincu les réticences de sa famille pour partir à l'aventure? Le mystère demeure, mais il n'en était pas à son premier périple: "Ayant fait plusieurs voyages par terre, tant en Espagne, qu’en Allemagne, Angleterre, Flandres et autres lieux, je souhaitais depuis longtemps de voyager sur mer, non seulement par un motif de curiosité qui fut toujours ma passion dominante ; mais pour m’instruire des vies et mœurs des étrangers, et voir par moi-même ce que tant de voyageurs ont écrit. J’ai eu l’occasion de faire celui-ci avec M. le Chevalier de la Condamine de l’Académie royale des sciences, de qui j’ai tiré beaucoup d’éclaircissements sur différentes matières qui m’étaient inconnues, et je puis dire avoir eu lieu de satisfaire en partie ma curiosité, et les vues que je m’étais proposées".

Ce voyage durera environ une année, dont le calendrier peut être établi comme suit

10/05/1731 - 02/06/1731 trajet terrestre et fluvial de paris à Toulon;

03/06/1731 - 15/08/1731 navigation de Toulon à Saint Jean d'Acre;

16/08/1731 - 23/08/1731 excursion à cheval jusqu'à Jérusalem;

24/08/1731 - 06/10/1731 à la poursuit de l'escadre française;

07/10/1731 - 07/12/1731 séjour à Smyrne et à Constantinople;

05/04/1732 - 29/06/1732 voyage de retour en France.

Nicolas Tollot visite Alger, Tunis, Tripoli, Alexandrie puis la Palestine où il se rend en pèlerinage aux différents lieux saints. Au retour, il fait escale à Chypre, Rhodes, Smyrne et Constantinople avant de reprendre la mer vers Malte, la Crète et Carthage. La rédaction du récit de son périple prendra plusieurs années puisque ce n'est qu'en 1742 que paraîtra son "Nouveau voyage fait au Levant, ès années 1731 et 1732".

Si l'intégralité du livre est consultable en ligne sur la base numérique de la Bibliothèque Nationale, Gallica, plusieurs passages ont retenu notre attention soit pour leur exotisme, où en raison du caractère traditionnel de la visite telle que les touristes peuvent encore la vivre aujourd'hui.

Un repas chez l'Aga de Naplouse

"Une heure après notre retour à la maison de l’Aga, étant heure de souper, je vis un nègre qui dans la salle du Divan, à côté de la chambre où nous étions, étendit par terre une nappe ronde, assez malpropre, et se mit au milieu pieds nus. Sur cette table si ragoûtante, on servit vingt-six plats dont six étaient répété par quatre, que ce nègre arrangea à sa fantaisie ; la table étant garnie, excepté l’endroit que le maître d’hôtel occupait, il sauta légèrement par-dessus les plats, et mit au milieu un grand plat de riz, que les Turcs nomment " peleau ", et devant l’Aga, un carré de mouton rôti. Tous les ragoûts consistaient en viande hachée et mise en boule, de la grosseur d’une pomme de reinette : il y avait aussi des mérinjeannes fricassées avec de très mauvaise huile ; ce sont des racines très communes en Provence, des œufs fricassés avec de la mantègue, qui est une espèce de beurre composé de tout ce qu’il il y a de plus mauvais, et d’autres ragoûts que nous ne connaissons pas.

Quant on eût servi, on vint de la part de l’Aga nous inviter de souper avec lui ; nous l’acceptâmes, et tous trois nous nous mîmes à table avec plusieurs conviés, ainsi que les gens de notre escorte et notre guide ; nous étions quinze à table, il n’y avait ni assiettes, ni fourchettes, pas même de serviettes, mais seulement deux cuillères de buis à manche long qui n’étaient d’aucune utilité.

On nous servit sur notre pain, qui était une espèce de galette mal cuite, quelques poignées de peleau. M. de la Condamine voyant que l’on servait avec tant de propreté, perdit l’appétit dans le moment. Je ne fis pas de même, je goûtai de tous les ragoûts que je trouvai fort mauvais ; et ne voulant point sortir de table sans avoir soupé, je pris le carré de mouton, qui était devant l’Aga, duquel j’arrachai deux côtelettes, en quoi consista tout mon souper.

Comme les Tucs ne boivent point en prenant leur repas, ils riaient de ce que je demandais à boire. On m’apporta de l’eau dans une petite cruche de terre, dans laquelle tout le monde buvait ; et sans verre ni tasse il fallait boire dans ce vase, où l’on avait peut-être trempé plus de cinquante moustaches.

Je souffris beaucoup pendant ce repas, n’étant pas accoutumé d’être assis par terre, les jambes croisées; je me tournais tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, allongeant mes jambes chacune à leur tour ; en un mot je faisais triste figure. Après que l’Aga et nous fûmes levés de table, d’autres reprirent la place ; ainsi depuis le premier domestique jusqu’au dernier, chacun avait son tour pour manger, et tous à la même table. L’on ne desservit qu’après que tout le monde eût soupé. En sortant de table, chacun se lavait les mains, et je crois que n’ayant point d’autres fourchettes, ils devraient aussi les laver avant les repas.

Après toutes ces cérémonies, on nous donna du café, des pipes et du tabac pour fumer. Toutes ces fonctions étant remplies, nous nous retirâmes dans notre appartement, dont le tapis de pied était des nattes, lesquelles nous servirent de lits et de matelas".

Une visite de la basilique de la Nativité

Jésus est né dans une grotte. C'est ce qu'a toujours enseigné la tradition chrétienne, depuis le philosophe Justin de Naplouse (135 après J-C). Comme Joseph et son épouse n'avaient pas où loger dans le village de Bethléem, il s'installèrent dans une grotte toute proche, et tandis qu'ils étaient là, Marie enfanta le Christ et le plaça dans une mangeoire. A leur arrivée les mages d'Arabie l'y trouvèrent. C'est autour de cette grotte que l'empereur Constantin fit édifier une grande basilique après l'an 325. La voici telle que l'a vue Nicolas Tollot : "On entre par une petite porte haute de trois pieds, large de deux, dans une espèce de petite cour qui sert de portique à l’église. Cette porte était autrefois très grande, mais on l’a murée, et l’on n’a laissé qu’un petit guichet pour empêcher les Arabes d’entrer à cheval dans la grande église.

Cette église est fort vaste, et couverte de plomb, la charpente en est belle, et est soutenue de deux rangs de colonnes de chaque côté, et d’un seul bloc, sur chacune desquelles est peint un saint personnage que l’on ne peut pas bien distinguer à présent. À main droite en entrant, et derrière la quatrième colonne est le baptistère des Grecs qui est fort beau.

En entrant dans le chœur, on voit de chaque côté du maître-autel une forme de chapelle ; Thévenot dit que du côté de l’épître est un autel où est la pierre sur laquelle Jésus-Christ fut circoncis ; nous nous en informâmes et aucun religieux ne put nous en instruire. L’autel qui est du côté de l’évangile est le lieu, dit-on, où les Mages descendirent de cheval quand ils vinrent adorer Jésus.

Dans le chœur sont deux escaliers, un de chaque côté du maître-autel, qui conduisent tous deux au lieu de la Nativité, qui est positivement sous ledit chœur ; desquels escaliers ayant descendu six marches, on trouve une porte de bronze percée à jour par en haut ; c’est cette porte qui ferme le lieu de la naissance du Sauveur du monde.

Entre ces deux escaliers, en descendant par celui qui est du côté de l’évangile, à main gauche, est un autel sous lequel naquit Jésus-Christ. Ce lieu est revêtu de marbre blanc, au milieu duquel est un cercle d’argent fait en façon de soleil où sont ces paroles écrites à l’entour : Hic de Virgine Maria Jesus – Christus natus est.

Thévenot prétend qu’aux environs de ce cercle, s’est trouvée dans le marbre qu’on a employé pour revêtir ce lieu, la figure d’une vierge et un petit enfant couché devant elle, que l’on prend, selon lui, pour Jésus et sa Sainte Mère ; nous examinâmes le marbre de tous sens, sans pouvoir y rien reconnaître non plus que les Pères qui étaient avec nous.

Nous descendîmes trois marches dans la même chapelle pour arriver près de l’autel qui est dans le lieu où était la crèche, qui est actuellement à Rome dans Sainte-Marie Majeure. Tout vis-à-vis est l’autel de l’Adoration des Mages, proche lequel est marqué par une pierre l’endroit où la Sainte Vierge était quand les Mages entrèrent. Ils posèrent leurs présents sur un petit relais de pierre fait en forme de banc, qui est au pied de cet autel, du côté de l’épître.

Cette étable n’était point faite de maçonnerie, mais taillée dans le roc ; et l’on y a mis trois colonnes de porphyre pour en soutenir la voûte, ce qui fait qu’elle est si bien conservée."

Nicolas Tollot achève son tour de Méditerranée à Marseille au début de l’été 1732, et subit le confinement avec des méthodes prophylactiques proches de celles encore utilisées par Roblet quelques décennies plus tard: "Nous primes port à Pommeguay où tous vaisseaux du Levant font quarantaine; à trois heures nous fîmes mettre tout notre équipage dans la chaloupe et nous nous fîmes conduire au Lazaret pour faire notre quarantaine.

Etant arrivés dans cette espèce d'infirmerie, qui est le lieu où les voyageurs du Levant et d'autres même qui viennent d'un pays contagieux, restent pour se purifier; sur le champ on nous donna un garde pour nous ôter tout commerce avec ceux qui y étaient avant nous et ceux qui pourraient arriver après.

Le lendemain on vint nous parfumer; pour cet effet on nous fit sortir de notre chambre, et en ayant fermé la porte et les fenêtres, on alluma au milieu un feu fait de son et d'herbes très puantes; quand la chambre fut bien remplie de fumée, on nous y fit entrer, on nous enferma dedans environ l'espace de sept minutes, jamais renards n'ont été si bien fumés dans leurs terriers; je crois que si nous y étions restés un quart d'heure, que l'on nous aurait trouvés morts; cette fumée était si puante, que nous en eûmes mal à la gorge plus de huit jours. Personne n'est exempt de cette cérémonie. Quinze jours après ils recommencèrent de même que la première fois.

Au bout de vingt quatre jours, on nous donna notre liberté, nous entrâmes dans la ville très bien purifiés, nous n'y restâmes que cinq jours; nous primes une chaise qui nous mena jusqu'à Lion, d'où je partis par la diligence et arrivai à Paris le 29 juin 1732."

A la découverte de l’auteur

Ainsi se termine le récit du "Nouveau voyage au Levant", et passée cette date, la vie de Nicolas Tollot semble assez opaque, même si la Bibliothèque Nationale le fait mourir en 1773 et lui attribue d'autres ouvrages:

- Réflexions sur l'amour de la patrie: Extrait du ″Mercure de France″, avril 1747, pp. 3-14. – 9ème pièce du tome XXCVIII du ″Recueil de mémoires... pour servir de supplément aux Mémoires de l'Académie″...

- Lettre sur le ver solitaire nommé ténia, à M. B.: Extrait du ″Mercure de France″, août 1748, pp. 30-46. – 18ème pièce du tome CCXIII du ″Recueil de mémoires... pour servir de supplément aux Mémoires de l'Académie″...

- Seconde lettre sur le solitaire ou ténia: Extrait du ″Mercure de France″, septembre 1748, pp. 13-19. – 12ème pièce du tome CCXVIII du ″Recueil de mémoires... pour servir de supplément aux Mémoires de l'Académie″...

- Examen de cette question : Y a-t-il quelque chose de nouveau sous le soleil ? Extrait du ″Mercure de France″, février 1749, pp. 25-40. – 15ème pièce du tome CCLXX du ″Recueil de mémoires... pour servir de supplément aux Mémoires de l'Académie″...

- Examen de cette question : Les livres ne sont-ils pas trop multipliés et quelles précautions faudrait-il prendre pour n'en avoir que bons ? Extrait du ″Mercure de France″, mars 1749, pp. 3-19. – 13ème pièce du tome CCLXX du ″Recueil de mémoires... pour servir de supplément aux Mémoires de l'Académie″...

- Essai sur l'histoire des Suisses, à M. Remond de Sainte-Albine: Extrait du ″Mercure de France″, décembre 1749, 2ème volume, pp. 68-84. – 11ème pièce d'un volume pour lequel on a imprimé un titre portant: ″Recueil de mémoires, dissertations, lettres et autres ouvrages... pour servir de supplément aux Mémoires de l'Académie... des sciences et de celle des inscriptions et belles-lettres″. Tome CCLXVI

- Réflexions sur le bel esprit: Extrait du ″Mercure de France″, décembre 1749, 2ème volume, pp. 43-49. – 12ème pièce du tome CCLXX du ″Recueil de mémoires... pour servir de supplément aux Mémoires de l'Académie″...

- La Religion chrétienne défendue contre les incrédules, poème [du Dr Aimé Tollot, remanié et augmenté par Jean Baptiste Tollot] Genève : impr. de E. Blanc et J. P. Bonnant, 1765

Concernant ces livres, rien ne prouve qu'il soient du même auteur en raison des différences de prénom et de l'état civil réel du rédacteur du "nouveau voyage au Levant". A l'exception du dernier ouvrage, tous ces écrits sont à destination de l'Académie des Sciences dont faisait partie la Condamine, et dans l'entourage duquel était Nicolas Tollot. Les lui attribuer peut être plausible ; par contre le doute peut exister puisque la dernière publication se fait en Suisse, où Jean Baptiste/Nicolas Tollot aurait eu un oncle prénommé Aimé, médecin, alors que sa famille bien que peu nombreuse semble installée aux marches de la Lorraine depuis quelques générations. En effet, bien qu'il existe des Tollot en Suisse depuis le milieu du XVIème siècle, Daniel Tollot, marchand, et son épouse Radegonde Laurent ont au moins deux enfants qui naissent à Vesaignes sous Lafauche (52): Claude en 1641 et Marie en 1643. De plus, il existe au moins trois familles Tollot à Liffol le Petit en 1699: François (syndic, mort le 04/02/1723), Paul (mort le 16/05/1710) et Georges qui est le père du voyageur. Lors des décès, ils sont inhumés "au cimetière de ce lieu en la place de ses ancêtres". Notons aussi la présence de René Tollot qui meurt le 16/05/1720 et de Claude Tollot installé à Semilly à la même époque. Ce dernier est plus connu puisque son contrat de mariage daté du 11/02/1662, passé avec Elisabeth Rémy, indique comme parents Daniel Tollot et Radegonde Laurent; ses descendants s'installeront dans un rayon de 20 kilomètres. Les archives notariales révèlent aussi la présence d'un autre Claude Tollot, marchand mort avant 1667, qui a un frère Joseph lui même marchand.

Même si Georges Tollot et Marie Danneville ont laissé peu de traces dans les archives notariales, donc que l'on n'arrive pas à prouver avec certitude sa parenté avec les précédents, et si aucun des enfants du couple ne semble s'être installé dans le secteur, rien ne laisse indiquer que leurs parents faisaient partie d'une branche originaire de Suisse. Il n'y avait par ailleurs aucun Tollot prénommé Aimé dans le canton de Saint Blin, et qui aurait pu être l'oncle du rédacteur du "nouveau voyage au Levant". Il semble donc quasiment certain que la famille Tollot s'est implantée à Liffol le Petit et dans ses environs dans la premier quart du XVII siècle, et que le voyageur Nicolas Tollot avait bien des ancêtres haut-marnais.

Partant de ce constat, il n'est pas déraisonnable d'affirmer que nous sommes en présence de deux personnages distincts, Jean Baptiste Tollot et Nicolas Tollot, auxquels il convient de "redonner vie". Voltaire qui a entretenu une très importante correspondance, avec pratiquement tous les hommes des sciences et des lettres de son époque, a conservé une missive datée du 21 mai 1768 adressée à Jean Baptiste Tollot: "Le jeune homme, monsieur, à qui vous avez bien voulu écrire, serait très fâché de vous avoir contristé, attendu qu’il n’a voulu que rire. Tout le monde rit, et il vous prie instamment de rire aussi. On peut très bien être citoyen de Genève, et apothicaire, sans se fâcher. M. Colladon, mon ami, est d’une des plus anciennes familles de Genève, et un des meilleurs apothicaires de l’Europe. Quand on écrit à un apothicaire en Allemagne, l’adresse est à M. N...., apothicaire très renommé. MM. Geoffroi et Boulduc, apothicaires, étaient de l’Académie des sciences, et ont eu toute leur vie de l’amitié pour moi. Tous les grands médecins de l’antiquité étaient apothicaires, et composaient eux-mêmes leurs remèdes; en quoi ils l’emportaient beaucoup sur nos médecins d’aujourd’hui, parmi lesquels il y en a plus d’un qui ne sait pas où croissent les drogues qu’il ordonne.

Êtes-vous fâché qu’on dise que vous faites de beaux vers? Si Hippocrate fut apothicaire, Esculape eut pour père le dieu des vers. En vérité, il n’y a pas là de quoi s’affliger. On vous aime et on vous estime; soyez sain et gaillard, et n’ayez jamais besoin d’apothicaire." Nous avons donc bien affaire à un poète genevois qui exerçait la profession d'apothicaire quant il ne versifiait pas. Pourquoi cette lettre de Voltaire à Tollot ? Tout simplement parce que le philosophe l’avait brocardé, sous le pseudonyme de Dolot, dans le second chant de "la Guerre civile de Genève" , humour que le poète n’avait guère apprécié et dont il lui avait fait part. Voici en quelques vers le portrait du personnage:

"……

Dans ce fracas, le sage et doux Dolot
Fait un grand signe, et d’abord ne dit mot:
Il est aimé des grands et du vulgaire;
Il est poète, il est apothicaire,
Grand philosophe, et croit en Dieu pourtant;
Simple en ses moeurs, il est toujours content,
Pourvu qu’il rime, et pourvu qu’il remplisse
De ses beaux vers le Mercure de Suisse
.
Dolot s’avance; et dès qu’on s’aperçut
Qu’il prétendait parler à des visages,
On l’entoura, le désordre se tut.
" Messieurs, dit-il, vous êtes nés tous sages;
Ces mouvements sont des convulsions;
C’est dans le foie, et surtout dans la rate,
Que Galien, Nicomaque, Hippocrate,
Tous gens savants, placent les passions;
L’âme est du corps la très humble servante;
Vous le savez, les esprits animaux
Sont fort légers, et s’en vont aux cerveaux
Porter le trouble avec l’humeur peccante.
Consultons tous le célèbre Tronchin;
Il connaît l’âme, il est grand médecin;
Il peut beaucoup dans cette épidémie. "
Tronchin sortait de son académie
Lorsque Dolot disait ces derniers mots:
Sur son beau front siège le doux repos;
Son nez romain dès l’abord en impose;
Ses yeux sont noirs, ses lèvres sont de rose;
Il parle peu, mais avec dignité;
Son air de maître est plein d’une bonté
Qui tempérait la splendeur de sa gloire;
Il va tâtant le pouls du consistoire,
Et du conseil, et des plus gros bourgeois.
Sur eux à peine il a placé ses doigts,
O de son art merveilleuse puissance!
O vanités! ô fatale science!
La fièvre augmente, un délire nouveau
Avec fureur attaque tout cerveau.

……."

Le bibliographe Senebier, qui vivait à son époque, le décrit comme un poète fécond: "Jean-Baptiste Tollot, maître apothicaire, né à Genève en 1698, est mort en 1773…. le quart du Journal helvétique est rempli des discours de morale et des petits vers de société composés par cet apothicaire". Car en plus d’être poète, Jean Baptiste Tollot que Jean Jacques Rousseau n'avait pas convaincu avec "Emile, ou de l’éducation", lui avait répondu par le biais d'autres ouvrages moralisateurs:

- Epitre à Damon sur J.-J. R., s.l., avril 1765, 22 p.

- La religion chrétienne défendue contre les incrédules, Genève, 1765.

- Traité sur l’éducation pour servir de supplément à l’Emile par J.-J. R., Neuchâtel, Société typographique, 1770, 2 vol

Nicolas Tollot, quant à lui, est donc né le 17/08/1704 à Liffol le Petit (52). Comme la narration de son voyage au Levant avec la Condamine tous ses autres écrits ont été publiés avant 1750, et sont extraits du Mercure de France qui était l'ancêtre des quotidiens actuels. Nicolas Tollot, le haut marnais, était donc non seulement aventurier et voyageur, mais aussi journaliste et plus particulièrement nouvelliste. Paul Ginisty dans son "anthologie du journalisme" conforte cette opinion: " MM.Ravaisson, de Lescure, de Barthélemy, Campardon, se sont particulièrement occupés de ces écrits des nouvellistes. On peut citer, parmi ces fondateurs du "reportage", gens bien informés, mais plus ou moins tarés, Charles de Julie spécialiste des nouvelles mondaines et du théâtre, Nicolas Tollot, le chevalier de Mouby, qui eut quelque temps Voltaire pour abonné…." . Dans sa notice consacrée à Tollot, le "Dictionnaire des journalistes" confirme bien son implication dans la presse de l'époque, même s'il confond les deux personnages. Nul ne peut néanmoins dire avec certitude quand il est décédé, et les recherches se sont pour l'instant avérées vaines dans ce domaine.

Si la foi religieuse et les pèlerinages pouvaient être une incitation majeure au voyage, d'autres ont eu des raisons plus mercantiles voire moins avouables, qui laissent planer encore aujourd'hui de nombreuses interrogations et de l'amertume.

ILS UTILISAIENT LES PIECES D'INDE

Les premiers aventuriers français débarquèrent à Saint Domingue vers 1630, mais, il a fallu attendre la fondation, par Colbert, de la Compagnie des Indes occidentales officialiser la colonisation française dans l’île. Grâce au travail forcé des nègres importés d’Afrique, Saint-Domingue devient la Perle des Antilles, "Saint-Domingue est à l’économie française du XVIIIe siècle, plus que l’Afrique tout entière dans l’économie française du XXe siècle". Le tout étant basé sur l’injustice, la contradiction et l’esclavage.

L'indépendance de Saint Domingue

Les conditions d’existence des esclaves étaient particulièrement atroces. Marqués d'un fer chaud au nom de leur propriétaire, les esclaves subissaient le fouet, les mutilations et toutes sortes de sévices. Un historien haïtien sur la base des documents d’époque a dressé une liste des châtiments corporels qui leur étaient infligés. En voici un court extrait : "Nègres brûlés vifs... bourrés de poudre et mis à feu... nègres condamnés à être broyés au moulin... enterrés jusqu’au cou, enduits de sucre près d’un nid de fourmis... cloués sur des planches... pilés dans des mortiers... dévorés par des chiens, etc ". À ces tortures, on peut ajouter les humiliations morales comme la perte de la liberté ou l’interdiction d’apprendre à lire et à écrire…

La bourgeoisie française s'engraissait de cette exploitation brutale et de toutes les abominations nécessaires à sa perpétuation. Les propriétaires de Saint-Domingue étaient corrompus par le pouvoir de vie ou de mort qu'ils avaient sur cette masse grandissante d'êtres humains. La fortune de la bourgeoisie maritime, bâtie sur la traite des esclaves, était en partie investie dans la colonie. Avec ses agents et négociants, ainsi que des fils de nobles appauvris et divers marchands, cette classe de propriétaires formait la strate supérieure de la société coloniale, en dessous de laquelle se trouvaient les clercs, les notaires, les avocats, les régisseurs, les chefs de travaux et les artisans. Mais cette prospérité n’était pas une garantie de stabilité politique et sociale. La révolution était devenue inévitable. Le 4 février 1794, appliquant enfin l'intégralité de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Convention abolit l'esclavage dans les colonies françaises. Les nègres venaient d'être affranchis. Ils étaient enfin libres. Libres, mais sans ressources, sans industrie, et n'étant pas aptes à pourvoir, du jour au lendemain, aux besoins de leur existence; tout comme les blancs qui craignent pour leur situation privilégiée, et se voient ruinés. C'est la raison pour laquelle tous se révoltèrent contre la constitution et réclamaient le rétablissement de l'ancien régime. La nouvelle de la mort du roi acheva de tout mettre en combustion. Commença alors une lutte d'extermination au cours de laquelle chacun redoubla de férocité et de violence. C'est au milieu de ce chaos que Toussaint Louverture se fit proclamer gouverneur général et reconnaître pour chef par tous les autres généraux. Bientôt les nègres re-cultivèrent, et les villes se relevèrent de leurs ruines. Le premier Consul devinant la pensée de Toussaint Louverture: Etre le chef suprême d'un Saint Domingue indépendant, organisa une formidable expédition dont il confia le commandement à son beau frère le général Leclerc. Venus de différents ports français, les vaisseaux qui transportaient le corps expéditionnaire se présentèrent devant le Cap Français, et entamèrent des négociations avec les anciens esclaves généraux de Toussaint Louverture qui, en réponse, firent proclamer la guerre à outrance. Ce dernier fut arrêté, mais la mort du général Leclerc survenue au Cap le 2 novembre 1802, entraîne une véritable guerre d’extermination contre les noirs, qui par milliers sont fusillés, pendus, noyés ou brûlés vifs. Les mulâtres subissent le même sort. Rochambeau demande l’envoi de 35 000 hommes pour finir ce travail d’extermination, mais Napoléon ne peut lui en envoyer que 10 000. Pour économiser des munitions, Rochambeau a fait jeter un millier de noirs dans la baie du Cap, à partir des frégates françaises. Pour qu’ils ne puissent pas nager, on attachait à leurs pieds les cadavres en décomposition des noirs qui avaient été fusillés et pendus. Dans le sous-sol d’un couvent, Rochambeau avait aménagé une scène. Un jeune noir y a été attaché à un poteau sous le regard amusé de dames bourgeoises. Les chiens, qui devaient le manger vivant, ont hésité, sans doute effrayés par la musique militaire qui accompagnait le spectacle. On a donc ouvert son ventre d’un coup de sabre, et les chiens affamés l’ont dévoré. C’était moins une guerre d’armées que de populations, et les noirs, loin d’être intimidés par les méthodes de Rochambeau, les affrontaient avec un tel courage et une telle fermeté qu’elle effrayait ses bourreaux. Dessalines n’avait pas les scrupules de Toussaint Louverture vis-à-vis de la France. Son mot d’ordre était : "indépendance". Dessalines rendait coup pour coup, massacrant pratiquement tous les blancs qui se trouvaient sur son chemin. L’offensive des noirs sous son commandement fut d’une violence irrésistible. La guerre prenait l’allure d’une guerre raciale. Cependant, sa véritable cause n’était pas dans la couleur de peau des combattants, mais dans la soif de profits de la bourgeoisie française. Le 16 novembre, les bataillons des noirs et des mulâtres se sont groupés pour l’offensive finale contre le Cap et les fortifications qui l’entouraient. La puissance de l’assaut accula Rochambeau à la décision d’évacuer l’île. Le jour de son départ, le 29 novembre 1803, une déclaration préliminaire d’indépendance fut publiée. La déclaration finale fut adoptée le 31 décembre.

L'évacuation des débris du corps expéditionnaire est bientôt suivie du massacre généralisé des derniers colons blancs, par les anciens esclaves en fureur. C'était la réponse apportée au despotisme des hobereaux qui avaient profité d'eux pendant des générations.

Parmi les victimes plusieurs familles, n'en formant à l'origine qu'une seule, ayant des racines haut marnaises: les de Coërts, du Bourg Blanc et d'Orbigny des Salines. Un de leurs esclaves, Jean Jacques, né en Guinée avant 1758 et corvéable à la plantation des Cormiers, district de la Grande Rivière, dépendant de l'habitation des Salines, de 1758 à 1789, s'évada et devint plus tard général de brigade de Toussaint Louverture, sous le nom de Dessalines. Après avoir mené la révolte de 1802 et massacré tous les colons, il proclama l'indépendance d'Haïti en 1803. Il se fait d'abord gouverneur général à la vie, puis empereur sous le nom de Jacques 1er (pour ne pas être devancé par son rival, Bonaparte).

Cruel et tyrannique, il fait massacrer les Blancs et poursuit une politique de " caporalisme agraire " destiné à maintenir les profits de l'industrie sucrière par la force, sans esclavage proprement dit, il fut assassiné près de Jacmel en 1806. En 1802, il avait donc massacré ses anciens maîtres, et seize de leurs enfants; "seuls échappèrent deux fils qui faisaient leurs études en France, Melchior, qui périt plus tard en mer, et Charles Marie, qui naquit en mer le 2 janvier 1770, au cours d'une traversée de St-Domingue à Saint-Malo". Aujourd'hui, le patronyme d'Orbigny demeure plus connu dans les pays d'Amérique du Sud que dans son propre pays. La raison en est simple. Charles Marie d'Orbigny, médecin dans la marine, eut plusieurs enfants auxquels il transmit le virus des sciences naturelles, et de la navigation. Alcide d'Orbigny deviendra un grand naturaliste paléontologue, qui fit de nombreux voyages en Amérique méridionale, et un de ses frères sera le père du fondateur de la compagnie de navigation d'Orbigny qui a fonctionné jusqu'en 1950.

Descendants d'une grande famille haut marnaise ?

Comme le voulait la tradition les colons s'établirent, à Saint Domingue, sur des habitations qui devinrent leurs noms de branche; ainsi en fut-il des de Coërts, du Bourg Blanc et des Salines. D'Orbigny était le patronyme sous lequel ils étaient connus avant leur implantation dans l'île, et aujourd'hui encore les descendants revendiquent leur appartenance à une famille de la région de Langres: de Giey.

La descendance de la famille de Giey a été établie par le baron de l'Horme, qui s'est largement inspiré du travail de Van Hoorebeke, desquels l'étude menée dans les années 1920 par M. Emile Paintendre, généalogiste à Saint-Georges en l'île d'Oléron (Charente-Maritime) tire probablement les éléments suivants, tant les généalogies sont concordantes:

" Les Sires de Giey jouirent toujours de la confiance de leurs souverains. Ils firent partie des expéditions faites par les Ducs de Bourgogne et rendirent des services signalés tant dans ce qui était alors la France, que dans les Pays-Bas où ils avaient contracté des alliances illustres. Depuis longtemps, ils possédaient le titre de Comte et les Rois de France, pour récompenser leurs services, élevèrent deux branches :

La première porte les titres de Comte de Giey, baron d'Orbigny; la seconde, Comte de Giey, baron de Villars.

La descendance directe de cette famille peut être prouvée à partir de Jean de Giey, Baron d'Orbigny, écuyer du Roy de France en 1444, puis Conseiller Intime de Louis XI et Grand Bailly de la ville de Langres, qui épousa dame Guillemette Peuillot dont il eut cinq fils et deux filles.

Le fils aîné, Pierre de Giey, fut Licencié-ès-loi, Ecuyer de Charles VIII, puis Grand Bailly de Langres et enfin Lieutenant- Général du Bailliage de Chaumont qui lui doit en partie son agrandissement. Il épousa en premières noces Jeanne Petit, fille d'Anselme de Verseilles et, en secondes noces, Colette Hennequin Lentage, fille de Hennequin Lentage et d'Anne de Baillet. Elle était nièce d'Oudart Hennequin évêque de Troyes, dont une des rues portait encore le nom en 1885.

Du premier lit, il eut neuf enfants et du second lit il en eut plusieurs dont un forma la souche des Barons de Villars.

Simon de Giey, baron d'Orbigny, fils de Pierre, fut le troisième du nom; il devint Ecuyer de François 1er et fut Seigneur de Verseilles où il fut enterré. On peut lire encore dans l'église de Verseilles, sur une tombe décorée de quatre quartiers de noblesse taillés en relief: de Giey Petit de Vingles Tarnay, avec cette inscription: Hic jacet Simon de Giey, eques con jusque ejus Benigna de Vinglis a Laussois. Obierunt MDXXXI, ille VI feb. hoec. X janvier.

Il avait épousé le 19 novembre 1514 dame Bénigne de Vingles du diocèse de Langres. Elle était fille de Pierre de Vingles de Laussois, Sire de Juvigny, et d'Isabeau de Tarnay, dame de Chevigny en Bourgogne.

Pierre de Giey d'Orbigny, fils de Simon, est le chef de la quatrième génération.

Il fut Seigneur de Verseilles et d'Orbigny et épousa le 15 "novembre 1563 Pierrette de Formets, fille de François de Formets, Seigneur de Danrées et de Cussy et de Jeanne de Massey.

De ce mariage sont issus sept enfants, dont une fille du nom de Gilette qui épousa Pierre de Beaupoil de Saint-Aulaire, Seigneur de Cottes et de Montguyon en Saintonge.

Le chef de la cinquième génération est Bénigne de Giey, baron d'Orbigny, Ecuyer, Homme d'Armes de la Compagnie de M. Dinteville, Lieutenant du Roy du pays de Brie et de Champagne. Il fut Seigneur d'Orbigny, d'Orte, de Verseilles, etc ... et Chevalier des Ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit.

Le fils de Bénigne est Pierre de Giey, Ecuyer, Seigneur d'Orbigny, Verseilles, Orte, etc ... Il figura fort jeune au siège de La Rochelle en qualité de Lieutenant et fut l'un des grands chefs militaires de Louis XI V dans les armées duquel il fut nommé Général de Bataille.

Il naquit au Château d'Orte près de Langres le 12 juin 1614 et mourut le 21 janvier 1676 ayant épousé le 27 février 1645 Françoise Lucie Isabelle Meymaert.

De cette union naquirent dix enfants, dont Guillaume Gabriel, baron d'Orbigny forma la souche des barons d'Orbigny. Né le 15 mai 1649, à Gand, il fut l'un des plus célèbres guerriers de son époque. Il contribua aux prises de Gand, Cambrai, Ypres, etc ... et négocia, en qualité de Capitaine au service de la France, le 18 décembre 1676, " une transaction avec les Bourgmestre et Echevins de la Commune de Bassevelde, près de Sas-de- Gand, relativement à une huitième contribution aux frais de guerre que leur imposait Louis XIV. Il devint ensuite Colonel de Cavalerie au service de l'Espagne, fut élevé à la Charge de Lieutenant- Gouverneur de Mons et du Hainaut par lettre du 1er juillet 1707, puis au grade de Maréchal de Camp par lettre patente du 13 mai 1713. Il mourut le 4 février 1733 et fut enterré à Hal en Brabant.

De son mariage avec dame Henriette Eléonore Le Mire, naquirent trois enfants; le second fut le chef de la huitième génération, l'aîné ayant disparu et n'ayant jamais fait connaître son sort.

Guislain Pierre Léandre, baron de Giey et d'Orbigny fut Seigneur de Hontsoch, Malteyde et Montigny. Il naquit le 27 février 1686 et mourut à Bruxelles le 24 juin 1760. Par lettres des 26 mars 1760, données par le Duc de Bavière, Vicaire Général des PaysBas, il fut fait Capitaine de l'infanterie Wallonne des Provinces Belges. Il épousa Jeanne Le Mire sa cousine, à Bruxelles, le 28 octobre 1731.

De ce mariage sont nés trois enfants dont un, Ferdinand Joseph, baron de Giey et d'Orbigny, né le 4 juin 1738 au château de Hontsoch, quitta de bonne heure le pays pour aller s'établir comme colon aux Indes Occidentales, à Saint-Domingue où deux de ses frères vinrent bientôt le retrouver"

C'est à partir de cette affirmation, et de l'absence de la branche de Saint Domingue tant chez Van Horebeeque que chez le baron de l'Horme, que les généalogies divergent et que les incertitudes commencent. "les anciennes archives du quartier d'inscription maritime de Saint-Malo ayant été expédiées à Paris par mesure de précaution en 1942, sans qu'il soit possible de savoir où elles sont actuellement" Il n'est donc pas possible de vérifier si la naissance de Charles Marie en 1770 y est mentionnée, ni si ses parents sont François Dessalines d'Orbigny et de Madeleine de Beaumont, et encore moins de prouver que ce dernier est fils de Ferdinand Joseph de Giey d'Arbigny. On remarque également une transformation du nom de la terre d'Arbigny en Orbigny, ce qui en soit était relativement fréquent. Charles Marie Dessalines d'Orbigny (1770-1857) aurait eu 6 enfants de son épouse Anne Pipat: Estelle (1801-1893), Alcide Charles Victor (1802-1857) explorateur naturaliste, Charles Henri (1806-1876 professeur au Muséum d'Histoire Naturelle, Salvador (1808-1883), Théophile (1813-1820) et Edouard Gaston (1805-1883) directeur des contributions indirectes et père d'Alcide Charles Jean (1835-1907), maire de La Rochelle et fondateur de la Compagnie de Navigation d'Orbigny qui transportait essentiellement du charbon et du fer.

Depuis 1669, l'exercice du commerce maritime est admis et on ne déroge plus à la noblesse en le pratiquant, mais contrairement à une idée très répandue, peu de nobles s'établirent dans les îles d'Amérique. Afin de bénéficier de certains privilèges, et parmi ceux ci l'exemption de la capitation pour 12 nègres, ils devaient présenter leurs demandes devant le conseil chargé de contrôler la véracité de leur état. Saint Domingue fut pourvue d'un conseil en août 1685, puis d'un second au Cap en 1701. Ces conseils souverains collectaient les titres authentiques des gentilshommes revendiquant cet état et les envoyaient en France pour être vérifiés par les généalogistes du Roi qui donnaient, ou non, l'ordre d'enregistrement. Or le baron de l'Horme n'aurait certainement pas passé sous silence cette branche alors qu'il avait consulté, entre autres, les travaux de d'Hozier et de Chérin lors de ses recherches généalogiques. A moins que, contrairement à ce qu’il a indiqué il ne l'ait pas fait pour cette famille. Dans les îles, les nobles avaient également la possibilité d'obtenir l'érection de leurs terres en comté, mais à Saint Domingue, il n'y eu qu'un seul octroi de lettre patentes le 06/05/1706 à Denon de Gallifet. Si les Dessalines d'Orbigny étaient descendants des barons de Giey, pourquoi n'ont ils pas fait reconnaître leurs droits pour obtenir des exemptions d'impôt sur les nègres qui étaient nécessaires à leur activité ?

Le seul indice commun aux deux familles est héraldique, bien que ce ne soit pas une preuve irréfragable. Les armoiries portées aujourd'hui encore par les Orbigny sont les armes de Giey qui, d'après le grand armorial de France se lisent: "d'argent semé de trèfles de sable, au lion du même armé et lampassé de gueules brochant sur le tout, au chef de gueules chargé de trois croissants d'or. L'écu sommé d'une couronne de Comte, surmonté d'un casque d'argent grillé et liseré d'or et de sable".

Comme tous les autres colons du XVIIIème siècle, et dans les mêmes conditions que les autres planteurs, les d'Orbigny purent exploiter leurs domaines, et tirer profit de la canne à sucre grâce à leurs esclaves africains, anciennes "pièces d'Inde".

Si l'accroissement des connaissances et la confirmation d'hypothèses scientifiques ont été à l'origine de la plupart des découvertes maritimes, le commerce en a souvent été l'élément accompagnateur, mais aussi le maillon faible. Les colonisateurs ont apporté avec eux le meilleur comme le pire, la civilisation, le christianisme, les travaux forcés, les massacres, les viols et les pillages, parfois les maladies infectieuses. A travers ces quelques personnages, on a pu se rendre compte que des hauts marnais ont participé à cette révolution; eussions nous encore des doutes depuis qu'une certaine Jeanne Mance appareilla pour le nouveau monde, et que de nombreux missionnaires locaux évangélisèrent l'Asie? L'histoire n'a simplement pas retenu tous les noms. La généalogie peut y contribuer, même s'il n'est pas toujours facile de trouver le chaînon manquant, à condition toutefois d'oser sortir des sentiers battus en matière de recherche.

Didier DESNOUVAUX




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